En 1833, George Sand (1804 – 1876) écrit Leila, roman qui a été ensuite publié dans La Revue des Deux Mondes, revue mensuelle littéraire française. François Buloz, éditeur et créateur de la revue, demande, à l’automne 1834, à Delacroix de peindre le portrait de George Sand, afin de le faire graver pour illustrer un de ses futurs articles.
Les confidents
George Sand, née Aurore Dupin, baronne Dudevant, venait alors de rompre avec son grand amour Alfred de Musset (1810 – 1857) ; cette rupture douloureuse la blessa profondément. Bien que venant juste de faire la connaissance de Delacroix à l’occasion de ce portrait, elle lui confia sans détours sa détresse. Elle nota ainsi dans son Journal : Je racontais mon chagrin à Delacroix ce matin, car de quoi puis-je parler, sinon de cela ?
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Eugène Delacroix, pourtant peu sensible aux chagrins amoureux, semble avoir été ému par la peine de la jeune femme. Quand je suis ainsi, lui aurait-il dit, je ne fais pas le fier, […]. Je m’abandonne à mon désespoir.
Le portrait trahit l’émotion du modèle comme celle de l’auteur.
George Sand par Delacroix
Delacroix représenta George Sand les cheveux courts, coupés à la hâte, les traits défaits, le visage creusé. Vêtue de manière masculine, comme elle aimait le faire, elle évoque plus un jeune garçon qu’un homme mûr. Il émane d’elle une certaine fragilité, que le peintre a su révéler. La jeune femme ainsi dévoilée apparaît bien différente de la femme solide et déterminée que montrent les photographies prises par Félix Nadar dans les années 1850.
Delacroix conçoit cette œuvre en ayant à l’esprit sa destination gravée finale. Le camaïeu de bruns choisi alliait à la facilité de reproduction un sens subtil de la couleur reflétant, par l’estompe, la peine du modèle. Le traitement des vêtements, par touches légères de nuances proches, n’est pas sans évoquer certaines autres toiles du peintre, notamment le portrait inachevé de son cousin Léon Riesener, exécuté quelques semaines après celui de George Sand. Malgré ses dimensions modestes, malgré sa facture singulière, l’œuvre liait le grand peintre à l’éminente femme de lettres.
La rencontre entre le peintre et l’écrivain fut fructueuse. Leur relation demeura profonde jusqu’au décès de Delacroix. Les nombreuses lettres qu’ils échangèrent soulignent leur fort attachement mutuel comme leurs différences de vues. Delacroix ne partageait guère les opinions politiques de Sand et ne goûtait que modérément ses créations littéraires. Mais il resta fidèle à celle dont il avait su saisir la vulnérabilité.
L’acquisition du tableau permet de rendre hommage, au musée Delacroix, à la naissance de l’amitié entre le peintre et l’écrivain. Il figure désormais aux côtés de L’Éducation de la Vierge, un des grands chefs-d’œuvre de Delacroix, réalisé à Nohant en 1842, alors que l’artiste séjournait chez son amie.
L’œuvre témoigne aussi de la fondation du musée Delacroix. L’une des rares expositions au XXe siècle du tableau eut en effet lieu en 1932, lors de la première exposition organisée au sein de l’atelier transformé en musée, Eugène Delacroix et ses amis. Maurice Denis, qui présidait la Société des Amis d’Eugène Delacroix, créatrice du musée, avait tenu à ce qu’elle soit présentée.
La voici, plus de quatre-vingts années après, revenue pour toujours dans la dernière demeure du peintre.
Bibliographie
- Maurice Sérullaz, Eugène Delacroix, Mémorial de l’exposition organisée à l’occasion du centenaire de l’artiste, Musée Nationaux, Paris, 1963
- Dominique de Font-Réaulx, Grande Galerie, Le Journal du Louvre, « George Sand par Delacroix : Histoire d’une amitié » Juin/Juillet/Août 2016, n°36, p.22-24