Ce portrait sculpté d’Eugène Delacroix acquis par le musée en 2019 est une esquisse préparatoire pour un buste commandé par l’État à Félix Desruelles en 1893. Il vient rejoindre les autres représentations sculptées de Delacroix que le musée expose déjà (bustes par Carrier-Belleuse, Étex, Dalou) mais dont il diffère par une exécution plus libre.
Un buste pour Versailles
Entré à l’école des Beaux-Arts à Paris en 1883, c’est dans les ateliers d’Alexandre Falguière et de René Fache que Félix Desruelles (1865-1943) se forme à la sculpture. En 1893, il remporte le second grand Prix de Rome de sculpture. La même année, il obtient une commande officielle, grâce à l’appui personnel de la femme du ministre des Finances, Marie-Noémi Rouvier, elle-même sculptrice. Le 19 avril 1893, le ministère de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes confie à Félix Desruelles l’exécution d’un buste en marbre d’Eugène Delacroix destiné à être placé au château de Versailles, où il est toujours conservé. À cette époque, le conservateur du musée de Versailles, Pierre de Nolhac mène une politique ambitieuse de réorganisation des collections et d’acquisitions sur le thème de l’histoire de France. La commande d’un buste de Delacroix s’inscrit dans ce contexte. La forme, un buste en marbre sur piédouche, et le choix de présenter Delacroix décoré de la rosette de commandeur de la Légion d’honneur confèrent à l’œuvre finale un caractère très officiel. À la fin du XIXe siècle, Delacroix est désormais considéré comme un des grands hommes de la nation.
Une esquisse préparatoire
Cependant, l’œuvre acquise par le musée Delacroix offre un tout autre regard sur ce buste officiel. C’est une œuvre d’atelier, le témoin d’une des premières étapes du travail du sculpteur, bien en amont du marbre final. Comme en témoigne sa surface irrégulière, le moulage en plâtre a enregistré la vivacité de l’esquisse en terre modelée par le sculpteur du bout des doigts, à partir de boulettes d’argile. Il s’agit d’un masque et non d’un buste complet : à ce stade précoce de l’exécution, le sculpteur concentre son effort sur le modelage des traits du peintre, réservant pour plus tard – ou peut-être pour un assistant – la part plus simple du travail (modelage du haut du corps et de l’arrière de la tête).
Sources d’inspiration
Lorsque Desruelles reçoit la commande de ce buste, Delacroix est mort depuis 30 ans. La tâche n’est pas facile : contrairement aux habitudes de l’époque, le peintre a formellement interdit que ses traits soient moulés après sa mort. Aucune représentation du visage de l’artiste en relief n’est conservée. C’est très probablement en partant d’autoportraits peints et surtout de photographies que Desruelles a travaillé. Il est possible qu’il se soit notamment inspiré du portrait photographique de Delacroix réalisé par Victor Laisné en 1852. Le peintre est alors âgé d’une cinquantaine d’années ; la photographie le montre l’air sérieux, les lèvres serrées, au sommet de son prestige, tel qu’on le retrouve dans l’œuvre de Desruelles.
Bibliographie et sources
- Dominique de Font-Réaulx, Un masque préparatoire en plâtre pour un buste de Delacroix, Grande Galerie, été 2019, n°48, p. 32.
- Archives nationales, F/21/2167 : commande du buste en marbre d’Eugène Delacroix à Félix Desruelles, 19 avril 1893.
- Archives nationales, 20144793/6 : attribution du buste en marbre d’Eugène Delacroix par Félix Desruelles aux galeries historiques du château de Versailles.
- Archives nationales, F/21/4500 : attribution du modèle plâtre au musée de Clères.
- Archives nationales, AJ/52/236 : registres d’inscription à l’école des beaux-arts.
- Archives nationales, F/21/4350 : registre des entrées au dépôt des marbres (6 février 1888 - 13 janvier 1933)
- Musée national du château de Versailles, dossier d’œuvre consacré au buste d’Eugène Delacroix par Félix Desruelles, marbre, 1894, n° d’inv. MV 5379