Au milieu des années 1840, une dizaine d’années après son retour du Maroc, Eugène Delacroix, peintre de génie, écrivain accompli, revint sur son périple marocain. Souvenirs d’un voyage dans le Maroc fut l’occasion pour lui, de manière intime, de mettre en exergue combien les événements observés, l’expérience vécue, les rencontres, demeuraient vifs dans son esprit et sa mémoire et venaient nourrir sa création picturale.

Acquis par la Bibliothèque nationale de France, ce manuscrit, demeuré inédit, a été publié en 1999. Barthélémy Jobert, professeur d’histoire de l’art, spécialiste de l’art de Delacroix, président de Paris IV-Sorbonne, fut un de ses éditeurs. Sa conférence jeudi sera l’occasion de présenter ce texte, au sein même de l’atelier de Delacroix.

Les clés d’une œuvre

Jules-Robert Auguste (1789-1850) est aujourd’hui bien oublié. Il fut pourtant, dans la première moitié du XIXe siècle, une figure majeure de la vie artistique parisienne, lié à la plupart des grands créateurs de son temps. Prix de Rome de sculpture, cet esprit curieux prolongea son séjour à Rome par un voyage vers l’Orient qui le conduisit en Grèce, en Syrie, en Égypte. Il s’établit à Paris autour de 1820 ; son atelier, rue des Martyrs, jouxtait celui de Théodore Géricault, dont il était proche. Ce fut par l’intermédiaire de ce dernier, qu’Eugène Delacroix fit la connaissance d’Auguste.

Monsieur Auguste, comme l’appelaient, non sans déférence, ses amis, réunissait chez lui des peintres, des écrivains qui formèrent une sorte de cénacle dont il était l’âme. Il avait rassemblé une collection d’armes, d’étoffes, de bibelots orientaux qui fascinaient ses jeunes hôtes. Delacroix était séduit par cet univers qui évoquait un Orient lointain ; ce fut-là, certainement, que grandit et s’affermit le goût du jeune homme pour les étoffes, le chatoiement de leurs couleurs, le froissement de leurs tissus.
Auguste fut un modèle pour le jeune Delacroix. Les Deux odalisques, aquarelle aux couleurs vives, témoignent de la création singulière du peintre voyageur. Le thème se réfère à un Orient fantasmé, celui des Mille et une nuits, qu’Auguste, vint chercher au cours de ses voyages. La pose des jeunes femmes, lascive et indolente, évoque également les femmes peintes de François Boucher, au milieu du XVIIIe siècle. Amateur de l’Orient, Auguste fut également collectionneur, dès le tout début du XIXe siècle, de l’art du XVIIIe siècle, alors dédaigné. Il avait réuni dans son atelier un ensemble d’œuvres de Watteau, notamment.

Ce fut grâce à lui que Delacroix forma son œil à cette peinture qu’il ne cessa d’apprécier sa vie durant. En 1857, son Dictionnaire des beaux-arts, se concluait par la lettre « W » comme Watteau. Il soutint le nouvel accrochage des peintures du Louvre mis en œuvre par son ami le graveur Frédéric Villot, qui permit de retrouver, à partir des années 1850, l’art du XVIIIe siècle sur les cimaises du musée.
Cette aquarelle aux couleurs vives, à la touche libre, appartient aux collections du département des Arts graphiques du Louvre et peut être admirée au musée Delacroix jusqu’au 2 février 2015.