Un musée dédié à Eugène Delacroix - Mille et un élèves de Delacroix
Un grand peintre mort sans élèves
Répondant à Constant Dutilleux (1807-1865) qui le félicitait pour son élection à l’Académie des beaux-arts, obtenue, enfin, à la septième tentative, en janvier 1857, Delacroix écrivait, avec regrets, qu’elle venait trop tard pour lui permettre d’avoir un atelier, réunissant, autour de lui, de jeunes artistes. Le grand peintre, qui avait pourtant apprécié ses confrontations solitaires avec son œuvre, déplorait, semble-t-il, n’avoir ni la possibilité, ni le temps, d’avoir des élèves. Disparu le 13 août 1863, Delacroix s’éteignit sans élèves.
Un maître pour les nouvelles générations
Très vite, pourtant, il a été considéré comme un maître par bien de ses cadets. Sa vente après-décès, qui a dispersé en février 1864, à Paris, l’ensemble de ses œuvres demeurées dans son atelier de la rue de Furstemberg, a été pour la génération qu’Edmond Duranty désignait comme « La Nouvelle Peinture » une révélation. Les jeunes artistes ont découvert un Delacroix dessinateur, demeuré secret. Edgar Degas, Claude Monet, Paul Cézanne se sont réclamés de l’œuvre et de la posture du grand peintre.
Hommage(s) à Delacroix
Le grand tableau d’Henri Fantin-Latour, Hommage à Delacroix (1864, musée d’Orsay) célèbre la réunion des artistes et des critiques autour du grand peintre, le reconnaissant, implicitement, comme une figure tutélaire majeure. Edouard Manet, le peintre américain James Abbott Whistler, Charles Baudelaire, les critiques Duranty et Champfleury encadraient le portrait du peintre. Au printemps 1885, une grande exposition est organisée à l’Ecole des beaux-arts au profit de la souscription destinée à élever à Paris un monument en l’honneur du peintre. Le critique Paul Mantz saluait ainsi la mémoire de l’artiste dans la préface du catalogue :
« Ainsi a vécu, au milieu des batailles dont il faut aujourd’hui jusqu’à oublier la mémoire, le grand peintre, le grand poète à qui nous élèverons demain un monument mérité et tardif. Les vrais artistes sont toujours de leur temps : l’âme contemporaine les pénètre, elle les inspire, et elle est en fête quand elle se reconnaît dans leur idéal. Delacroix nous a donné cette ivresse. Qu’il en soit remercié. »
La conception et l’exécution du monument ont été confiées au sculpteur Jules-Aimé Dalou (1838-1902), dont l’admiration pour Delacroix était profonde. Il a été installé au jardin du Luxembourg et inauguré le 5 octobre 1890.
A la rencontre de Delacroix, la parution du Journal
Au printemps 1893, parut la première édition du Journal d’Eugène Delacroix, demeuré jusqu’alors inédit. Etablie par Paul Flat et par René Piot – qui avait été élève de Pierre Andrieu, l’assistant de Delacroix à Saint-Sulpice - elle offrit aux lecteurs une nouvelle révélation. Celui qui avait été, de son vivant célébré pour son sens de la couleur et du mouvement, celui qui fut, après la vente de 1864, reconnu également comme un dessinateur accompli, apparaissait désormais comme un écrivain de talent, dont le style et le propos séduisirent ses lecteurs. Peintre, dessinateur, écrivain, il y avait ainsi plusieurs Delacroix, dont le souvenir soutenait, au fil des décennies, l’engouement de plusieurs générations d’artistes. Nés dans les années 1860 ou au tout début des années 1870, Maurice Denis, Paul Signac, Emile Bernard, Edouard Vuillard, avaient à peine plus de vingt ans au moment de la publication des écrits de Delacroix. Ils ont été, ensuite, les fondateurs du musée Delacroix, sauvant son dernier atelier de la destruction et le transformant au musée.
Delacroix, père de l’art moderne
Eugène Delacroix a été et demeure un maître pour les artistes du XXe siècle. Henri Matisse, Pablo Picasso, Charles Camoin, Marc Chagall, Jean Bazaine ont admiré les œuvres du peintre romantique. Sa fidélité à son génie propre, son talent à saisir l’instant, son génie de la couleur, son sens de l’intrigue, le désignent comme un des plus grands créateurs de l’art français. Fin connaisseur de l’âme humaine, son œuvre est d’une modernité singulière, qui puise à l’observation sensible des émotions et à leur transcription magistrale.