Les deux portraits de Thales Fielding par Delacroix et d’Eugène Delacroix par Thales Fielding, peints l’un et l’autre vers 1824-1825, constitue un témoignage émouvant d’une amitié qui compta dans leur vie respective. Ces deux tableaux ne sont pas des autoportraits, exercice auquel répugnait Delacroix. Plus exactement, chacun posa pour l’autre avant que le retour de Fielding en Angleterre en 1824, après plus de trois années à Paris, ne les sépare.

Les frères Fielding

S’il est inutile de présenter Delacroix, Thales Fielding ne conserve la même notoriété, même si le nom des « frères Fielding » sonne familier aux lecteurs du Journal ou de la correspondance du maître tant il le cite. Cette fratrie britannique s’installe progressivement à Paris à partir de 1820, à l’instigation de l’éditeur suisse Jean-François d’Ostervald qui cherche des paysagistes pour ses albums de lithographies pittoresques, au même titre que Bonington, le plus célèbre de ses collaborateurs. Ainsi, ils participent ensemble au recueil des Excursions sur les côtes et dans les ports de Normandie.

Les cinq frères Fielding sont les fils du peintre Theodore Nathan Fielding, qui leur a donné des prénoms évocateurs : Theodore comme lui pour l’aîné, Frederick Raffael Fielding, Copley Antony Van Dyck Fielding, Newton Fielding et Thales Angelo Vernet Fielding. Souvent cités sans prénom dans les sources, il n’est pas toujours facile de discerner duquel il s’agit. En tout cas, les Fielding enseignent l’aquarelle à Raymond Soulier, qui y initie à son tour son ami Delacroix avant que ce dernier ne se lie plus directement à eux. Cette technique dépasse le simple usage de la peinture à l’eau et intègre les rehauts de gouache, le grattage et l’emploi de gommes et de vernis. Au Salon de 1824, Stendhal admire particulièrement une petite aquarelle de Thales Fielding représentant Macbeth rencontrant les sorcières sur la bruyère (n° 647).

Thales Fielding (1793-1837) et Delacroix

Delacroix assiste d’ailleurs Thales Fielding dans l’exécution de cette petite aquarelle (Journal, 11 mai 1824) quand Fielding aurait entrepris de lui « arranger son fond » des Massacres de Scio, présentés au même Salon. Les deux peintres partagent en effet un atelier au 20 rue Jacob, abordent ensemble l’aquarelle et la gravure et confortent ainsi leur amitié. Delacroix mentionne dans son Journal de fréquents repas en compagnie de Thales en cette année 1824, qui sera celle de leur séparation puisque Thales rejoint l’Angleterre en octobre de la même année. C’est probablement à l’occasion de ce départ (ou de leurs retrouvailles l’année suivante à Londres ?) que les deux amis ont réalisé leurs portraits réciproques.

De retour outre-Manche, Thales n’a de cesse d’inviter Delacroix à le rejoindre, préparant pour lui le voyage qu’il effectuera l’année suivante. Preuve s’il en est besoin que ses sentiments pour Delacroix sont authentiques, son Portrait de Delacroix sera exposé par son auteur à la Royal Academy en 1827 (n°269), hommage à un artiste encore peu connu en Angleterre. Plus tard, Fielding appose sur la toile la légion d’honneur décernée à Delacroix en 1831, signe tangible d’une actualisation de leur amitié. Plusieurs lettres témoignent également de l’activité du peintre anglais pour aider son ami à se faire connaître à Londres : Il y a un très bon endroit pour exposer [vos dessins], no 27 Regent Street, lui écrit-il au printemps 1828. On sait que Delacroix expose son Exécution du Doge Marino Falieri à la British Institution cette même année.

Cependant, sa propre carrière sera en demi-teinte : exposant régulier à la Société royale des peintres en aquarelle où il est élu en 1829, ainsi qu’à la British Institution, il finit sa vie comme professeur à l’académie militaire royale de Woolwich, poste néanmoins doté d’un salaire confortable. Peu de ses œuvres sont actuellement localisées, même si l’on trouve quelques-unes de ses aquarelles et estampes au British Museum et au Victoria and Albert Museum de Londres, à la Whitworth Art Gallery de Manchester et au Paul Mellon Center for British Art à Yale University.

Lithographe et paysagiste à l’aquarelle plus que portraitiste, Thales Fielding nous livre néanmoins ici, avec son Portrait de Delacroix, une image attachante et réaliste du peintre. Déjà sensible à l’élégance de sa tenue, délicatement rehaussée par les filets de blancs qui cernent son col, Delacroix nous offre son expression volontaire et déterminée, à l’image de celle que livrent les imposants bustes rétrospectifs du peintre au faîte de la gloire conservés au musée. Ce rare et précieux portrait de l’artiste dans sa jeunesse vient avec bonheur en adoucir l’image.

Bibliographie

Christophe Leribault, « Deux portraits d’amitié réunis », in Gazette de l’Hôtel Drouot, 8 mai 2009, p. 180-181, repr.