
Cette œuvre est le plus ancien autoportrait connu de Delacroix, réalisé vraisemblablement au tout début des années 1820. Il offre une image assez énigmatique. Le peintre s’est représenté sous la figure d’un jeune héros romantique, tel un comédien sur scène prêt à déclamer sa tirade. Debout, campé, avec beaucoup d’aplomb, devant une niche brossée à larges coup de pinceaux, il semble s’appuyer de la main gauche sur ce qui pourrait être un pilier, sa main droite reposant sur le pommeau d’une épée qu’il porte à son flanc. La touche est large et généreuse, l’ensemble est traité avec une grande économie de couleurs, des tons sombres qu’éclaire une lumière artificielle, jaune, qui fait penser à un éclairage de théâtre.
De Walter Scott…
Certains auteurs ont déduit d’après l’inscription Raveswood (pour Ravenswood) portée anciennement sur le châssis du tableau et devenue avec le temps illisible, que Delacroix s’est identifié dans ce tableau au héros du drame La Fiancée de Lammermoor écrit en 1819 par l’auteur écossais Walter Scott. Comme le héros du roman, jeune lord ruiné et dépossédé de son château et de ses terres, Delacroix, alors âgé d’une vingtaine d’années, est également orphelin, et, avec sa fratrie, se trouve dans une situation financière très précaire, cherchant à sauver les vestiges de leur fortune et notamment un domaine que la famille possédait encore en Charente à Mansle dans la forêt de Boixe.
Cependant, pour d’autres auteurs, l’inscription se rapporterait plutôt à son ami le miniaturiste Auguste Carrier (1800 – 1875) que Delacroix choisit plus tard pour être l’un de ses exécuteurs testamentaires, et à qui le peintre aurait offert son portrait. Le peintre s’amusait, en effet, d’appeler son ami du nom du héros de Walter Scott.
… À Shakespeare
Il est vraisemblable que Delacroix ait ici choisi de se peindre en Hamlet, grand héros de l’œuvre de William Shakespeare (1564 – 1616), dont il porte l’habit noir de l’étudiant. Shakespeare est sans aucun doute le dramaturge que le peintre admire le plus comme en témoignent les nombreuses mentions dans son Journal. Hamlet, le prince malheureux du Danemark, a été pour Delacroix une de ses sources d’inspiration les plus riches. Le drame intérieur d’Hamlet le toucha profondément ; il choisit, en 1834, d’y dédier une suite lithographique, achevée en 1843. Il prêta, dans un processus d’identification manifeste, ses traits de jeune homme au héros shakespearien.
Bibliographie
- Maurice Sérullaz, Delacroix, Paris, Fernand Nathan, 1981.
- D. de Font-Réaulx et Marie-Lys Marguerite (dir.), Shakespeare romantique - Füssli, Delacroix, Chassériau, catalogue d’exposition (Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin, 2017 ; Namur, musée Rops, 2017/2018), éd. Editions Musées de Saint-Omer – Hôtel de Sandelin, Saint-Omer, 2017.