C’est lors d’un séjour à l’abbaye de Valmont, près de Fécamp, qu’Eugène Delacroix peignit à l’automne 1834 les trois seules fresques de sa carrière de peintre : Bacchus et un tigre, Anacréon et une jeune fille et Léda et le cygne. Sur la première, le dieu romain du vin et du théâtre tend une coupe pleine à un tigre. La seconde met en scène Anacréon, célèbre poète lyrique qui souhaitait propager l’instruction dans l’Athènes du VIème siècle avant Jésus-Christ, en compagnie de sa muse. Enfin, la dernière fresque montre Zeus séduisant la mère de Castor et Pollux, Léda, en prenant la forme d’un cygne.

 J’ai essayé de la fresque 

Delacroix reçoit sa première commande de décor public le 31 août 1833 : le Salon du Roi au Palais Bourbon. C’est peut-être pour étudier la technique à employer qu’il fait l’expérience de cette technique bien particulière qu’est la fresque. Ainsi raconte-t-il dans sa Correspondance :

J’ai essayé de la fresque. Le cousin m’a fait préparer un petit morceau de mur avec les couleurs convenables. Cela est plus commode que la détrempe. Au reste, c’est fort long à sécher, et depuis quatre ou cinq jours que c’est fait, je ne suis pas certain que les tons aient recouvré leur éclat.

( Lettre à Fr. Villot le 23 septembre 1834)

Delacroix séjourne en effet chez son cousin Alexandre-Marie Bataille, à qui appartenait l’ancienne abbaye bénédictine de Valmont, lieu cher à Delacroix. Le peintre y avait séjourné pour la première fois 1814, peu avant la mort de sa mère. Il y était retourné à de nombreuses reprises, appréciant ce lieu pour ses ruines, son atmosphère, qui lui inspiraient  une foule d’idées tout à fait romantiques . (Correspondance, 10 janvier 1814).

Bacchus, une représentation étonnante

Delacroix parvient à s’adapter à la difficulté de la fresque, mettant en valeur son habileté. Le peintre confère à ses œuvres un style particulièrement monumental et ample. Cependant, les choix du Maître pour les sujets des fresques sont étonnants, et confirment l’originalité de Delacroix. Ce Bacchus apprivoisant un tigre n’est pas une représentation classique contrairement à celle de Léda. De même, le choix d’Anacréon jouant de la lyre devant sa muse le révèle, lui qui a hésité entre une carrière de poète ou de peintre. Tous trois dégagent une vision sensuelle de l’Antique développée dans la poésie d’Anacréon.

Entre inspiration classique et élans romantiques

Delacroix mêlait ses élans romantiques à un goût prononcé pour l’Antique. Ces fresques, qui mettent en scène des personnages de la mythologie et de l’histoire antique, témoignent de l’importance que Delacroix accordait à cette période, à la fois sous l’aspect du sujet et sous celui de l’esthétique. Il est possible que le peintre ait gardé à l’esprit les fresques de la villa des mystères à Pompéi, qu’il aurait connu par l’intermédiaire de gravures.

Ces œuvres sont aussi l’occasion de s’inscrire dans la lignée des plus grands peintres que Delacroix admirait et qu’il a beaucoup copiés : l’histoire de Léda a ainsi été utilisée par Léonard de Vinci, Michel Ange et plus tard Géricault.

Bibliographie

  • Maurice Sérullaz, Les peintures murales de Delacroix, Paris, 1963.
  • Dominique de Font-Réaulx (dir.), Delacroix et l’Antique, Paris, Editions du Louvre/Editions du Passage, 2015, catalogue de l’exposition du musée national Eugène-Delacroix, décembre 2015-mars2016