Ce dessin de Maurice Denis montre la façade de l’atelier que Delacroix avait fait construire en 1857 rue de Furstemberg. Le peintre y travailla de décembre 1857 à sa mort, en août 1863. Denis représente les lieux tels qu’ils étaient à la fin des années 1920, alors qu’avec ses amis peintres et collectionneurs, il fondait la Société des Amis d’Eugène Delacroix, afin de sauver le dernier espace de création du grand artiste.

Une œuvre hommage

Le dessin de Denis est fidèle à l’ordonnancement de la façade sur le jardin, agencée et décorée avec soin par Delacroix lui-même, et à l’abandon dans lequel le peintre trouva les lieux, abandon dont témoignent les photographies prises avant 1922. En choisissant un point de vue en contre-plongée, Denis rend hommage à l’aspect majestueux de l’atelier, inspiré de l’architecture néoclassique des demeures britanniques du XVIIIe siècle et, comme elles, orné de moulages antiques, que le dessinateur prend soin d’évoquer.

Le jardin secret de Delacroix.

Bien que locataire, Delacroix avait en effet choisi de concevoir, dans le jardin dont il avait obtenu la jouissance exclusive, un pavillon, plus solide et plus hiératique que l’immeuble où il logeait. En ces lieux où il reçut peu et se protégea beaucoup, il fut le seul à admirer cette belle façade. C’était comme une façade à soi, un ermitage au cœur de Paris.

Il avait élu l’endroit avec autant de plaisir que de raison, s’il faut en croire la lettre qu’il écrivit à son ami Charles Soulier en janvier 1858 :

En somme, à part l’inconvénient, si c’en est un, d’abandonner le quartier à la mode, je trouve ici des conditions séduisantes pour un solitaire, de grands appartements, dont j’ai toujours raffolé, un loyer moindre, et un jardinet pour faire un petit exercice modéré, sans aller dans la rue dans les intervalles de mon travail.

Denis connaissait ces propos de Delacroix, publiés par Etienne Moreau-Nélaton dans son Delacroix raconté par lui-même, paru en 1916, et auxquels il se réfère dans la préface du catalogue de la première exposition de l’atelier Delacroix en 1932.

La vision romantique de Maurice Denis.

Si elle se dévoile avec une certaine noblesse, la façade conçue par Delacroix n’en est pas moins, sur le dessin de Denis, en partie cachée par la végétation, qui la dissimule et la protège, comme la demeure d’une belle endormie. Les arbres, plantés après la mort du peintre, semblent pencher leur haute futaie vers le pavillon. Leur grande taille évoque, plus que le joli petit jardin parisien que Delacroix aimait tant, une vaste forêt.

L’analogie romantique avec une nature puissante et tutélaire transparaît ici. Peut-être Denis avait-il aussi à l’esprit la maison de campagne du peintre, à Champrosay, en bordure de la forêt de Sénart où Delacroix puisa souvent son inspiration.

En associant les deux demeures, il rendait au peintre romantique un double hommage, insistant sur la nécessité que l’atelier parisien, du moins, soit sauvé et ouvert au public.

De manière plus prosaïque, évoquer l’abandon des lieux était aussi, pour Denis, une manière de justifier par anticipation le patient travail de rénovation auquel ses compagnons et lui allaient s’adonner avec une ténacité généreuse et qui fut en effet, en juin 1932, lors de l’inauguration de l’atelier, couronné de succès.

Bibliographie

  • André Joubin, Correspondance générale d’Eugène Delacroix, Paris 1935, tome 1
  • Dominique de Font-Réaulx (dir.) Maurice Denis et Eugène Delacroix, de l’atelier au musée, catalogue d’exposition (3 mai – 28 août 2017), édition Le Passage, édition Musée du Louvre, 2017