
Le thème de la femme nue allongée, telle qu’elle avait pu être peinte depuis la Renaissance, par Titien, Rubens, Vélasquez ou Goya, a inspiré à Edouard Manet sa provocante Olympia (huile sur toile, 1863, Paris, musée d’Orsay). Le peintre transgressait là, avec brio, les codes de la représentation du nu féminin. Il figurait, au lieu d’une Vénus ou d’une Danaé, une femme aux mœurs légères, à qui sa servante apportait un bouquet enveloppé offert par un de ses admirateurs. La jeune femme, étendue avec indolence, regardait le spectateur, avec une effronterie qui avait suscité de vives critiques lors de la présentation du tableau au Salon de 1865.
Une Odalisque évocatrice
Manet n’a pas peint d’odalisque, beauté orientale étendue, que l’exposition, au Salon de 1819, de La Grande Odalisque d’Ingres, avait désignée comme un motif en soi. L’univers orientalisant n’attira que peu l’artiste. Il réalisa, pourtant, au cours des années 1860, une très belle feuille, à l’encre et à l’aquarelle, célébrant la sensualité de l’odalisque (ill. : Edouard Manet, Odalisque, encre et aquarelle, 1862-1868, 13 x 20 cm, Paris, musée d’Orsay, RF 6926). Derrière l’orient, pointait l’Espagne. Manet avait repris là la pose de sa Jeune femme en costume espagnol (huile sur toile, 1862, New Haven, Yale University Museum), qui fut aussi celle de l’Olympia. Il joua avec talent des accessoires attendus, les bijoux, le chasse-mouches, la transparence de la longue robe. Les traits marqués du visage, la chevelure et les sourcils très bruns, évoquaient l’art de Goya, que Manet, comme Delacroix, avant lui, célébrait.
Une estampe unique
L’estampe acquise par le musée Delacroix a été conçue par l’artiste à partir de ce dessin. L’artiste a renforcé le trait des contours du corps et du visage de son odalisque. L’œuvre rappelle à nouveau Goya, mais aussi Delacroix. La beauté sombre de la femme dessinée et gravée par Manet évoque celle des Juives de Tanger (eau-forte, 1834, musée Eugène-Delacroix). Le peintre admirait Delacroix, dont il regarda attentivement les créations.
L’épreuve acquise par le musée, de très grande qualité, a fait partie de la collection de François Heugel, éditeur de musiques et d’opéras, qui avait réuni un ensemble très riche d’estampes. Elle vient enrichir la collection du musée, qui conservait déjà deux estampes d’Edouard Manet, portraits de Charles Baudelaire, supporter inconditionnel de Delacroix.
Bibliographie :
Grande Galerie, Acquisition, n°43, fev 18-mars 18