Monsieur,
Depuis que Monsieur Delacroix vous avait écrit il est devenu bien plus malade et j’étais tellement inquiète et tourmentée ; et comme vous disiez que vous deviez venir pour le voir, je ne vous ai pas écrit ; et Monsieur est mort ce matin à 7 h.
Jenny

Et Monsieur est mort ce matin 7h

L’émotion est sensible dans ce petit billet qu’écrit Jenny Le Guillou à Léon Riesener (1808-1878), le cousin de Delacroix, pour l’informer, ce 13 août 1863 à 7h du matin, du décès d’Eugène Delacroix, dans son appartement du 6 rue de Furstemberg. C’est un petit mot douloureux où elle tente toutefois d’expliquer pourquoi elle n’a pu prévenir son correspondant avant l’issue fatale. J’étais tellement inquiète […] comme vous disiez que vous deviez venir le voir, je ne vous ai pas écrit …. Jenny aurait-elle voulu garder pour elle seule les derniers instants de son maître ? Il mourut, ses mains dans les siennes, dans la chambre de la rue de Furstemberg, celle qui donne sur le petit jardin et aux murs de laquelle sont aujourd’hui accrochées ses œuvres.

Jenny le Guillou, le seul être dont le cœur soit à moi sans réserve

Originaire du Finistère, Jenny le Guillou entra vers 1835 au service de Delacroix et y resta, fidèlement, jusqu’à sa mort. Elle remplit d’abord le rôle de la fidèle gouvernante, épargnant au peintre tout souci matériel, et devint au fil du temps presque sa confidente. Delacroix écrit dans son Journal le 3 octobre 1855 avoir éprouvé du plaisir, après une absence, à revoir la petite figure maigre aux yeux pétillants de bonheur [...], le seul être dont le cœur soit à moi sans réserve.

Consciente du génie de son maître, elle gardait l’accès à l’atelier. Préservant le peintre des visiteurs qu’elle jugeait gênants, elle veillait sur sa santé et la disponibilité nécessaire à son travail. Delacroix lui légua plusieurs œuvres, dont son fameux Autoportrait au gilet vert, qu’elle légua au musée du Louvre après son propre décès. Il fit son portrait peint, exposé dans les salles du musée Delacroix. Elle y apparaît attentive, réfléchie et très déterminée.

Autour de la mort de Delacroix

Le musée Delacroix conserve trois lettres écrites par Jenny, toutes datées de ce mois d’août où Delacroix mourut.
Celle du 6 août 1863 est dictée par Eugène Delacroix ; elle est adressée à son cousin le peintre Léon Riesener. L’artiste est conscient de son état de faiblesse qui l’empêche d’écrire. S’il se présentait quelque chose de grave, on te l’écrirait tout de suite, ajoute-t-il. Le 31 août, la fidèle Jenny répond à la lettre de condoléances écrite par Madame Riesener. Elle a repris ses esprits, elle est touchée, elle se livre : Je ne m’en consolerai jamais, la seule consolation qui me reste, c’est de lui avoir sacrifié mon existance….(sic).

Grâce au don très généreux de Norbert Ducrot-Granderye, le musée Delacroix conserve un ensemble de documents liés au décès de Delacroix, puis à l’édification de son tombeau.

Bibliographie

Théophile Silvestre, Eugène Delacroix, Documents nouveaux, Paris, 1864