La Madeleine dans le désert est une représentation de Marie-Madeleine, disciple de Jésus, pécheresse repentie. Le choix de la composition et l’expression de la sainte en font une œuvre énigmatique, laissant la place à toutes les interprétations

Sainte et pécheresse

Selon les quatre Evangiles et la tradition chrétienne, Marie Madeleine est un disciple de Jésus, le premier témoin de la Passion du Christ et de la Résurrection de Jésus. Avant sa conversion, c’est une femme de mauvaise vie, une prostituée. A la fois sainte et pécheresse, Marie Madeleine incarne la dualité entre le corps et l’âme. Dans le tableau de Delacroix, ses cheveux longs, sa bouche charnue évoquent plutôt la sensualité. Mais à la différence de ses prédécesseurs qui ont souvent utilisé ce sujet comme prétexte à la mise en valeur du nu féminin, Delacroix ne représente que la tête de la pécheresse, privant le spectateur d’une vision érotique. Il nous renvoie à une femme énigmatique.

Une œuvre mystérieuse

La Madeleine dans le désert est une œuvre déroutante. Par le cadrage très resserré, l’imprécision du décor à l’arrière-plan, l’expression insondable du visage de la sainte et sa posture étrange dans l’espace, Delacroix a volontairement brouillé la lisibilité du tableau. Madeleine est-elle mourante, comme pourraient l’indiquer son visage stoïque, ses yeux clos, ou sombre-t-elle dans une extase religieuse, comme semble le suggérer la lumière qui émane de son visage ? Si le titre n’indiquait pas qu’il s’agit de Madeleine, on ne pourrait même pas le deviner. A peine un peu de ciel bleu dans la partie supérieure de la toile et l’évocation d’une grotte suggèrent-ils qu’elle est bien au désert, venue, comme le dit la légende, finir ses jours dans une grotte du massif de la Sainte-Baume, en Provence.e.

L’interprétation personnelle d’un thème religieux

Le mystère qui enveloppe cette œuvre renvoie, peut-être, au mystère indéchiffrable de la religion et à l’approche très personnelle de Delacroix, plutôt sceptique voire athée, mais sensible à la religion dans ce qu’elle a de plus universel et de plus simple. Le tableau frappe par la douceur qui en émane. La Madeleine a les yeux baissés : l’extase religieuse est avant tout une expérience intérieure. Delacroix livre donc son interprétation intime d’un sujet convenu dans ce tableau qui, tout comme L’Education de la Vierge, ne répond à aucune commande officielle. Dans ses peintures publiques, comme la Pietà peinte au sein de l’église parisienne Saint-Denys-du-Saint-Sacrement à la même période que la Madeleine, Delacroix respecte plus scrupuleusement l’iconographie traditionnelle.

Enthousiasme de Baudelaire

Delacroix attachait sans doute beaucoup d’importance à ce tableau, car après l’avoir exposé au Salon de 1845, il tint à l’inclure dans la sélection des œuvres présentées lors de son exposition personnelle à l’Exposition Universelle de 1855. Cela a donné par deux fois à Baudelaire la possibilité de commenter cette œuvre qu’il affectionnait particulièrement. Dans son commentaire du Salon de 1845, le critique loue la « poésie intime, mystérieuse et romantique » qui émane de ce tableau « d’une harmonie parfaite ». En 1855, il note le « sourire bizarre et mystérieux » de la Madeleine, « si surnaturellement belle qu’on ne sait si elle est auréolée par la mort, ou embellie par les pâmoisons de l’amour divin. »

Bibliographie

  • Charles Baudelaire, Salon de 1845 et Exposition universelle, 1855, Beaux-Arts, in Œuvres complètes, t. II, bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1976.
  • Lee Johnson, the paintings of Eugene Delacroix : a critical catalogue, Oxford : Clarendon press, 1986, vol. 3, n° 429
  • L’œil de Baudelaire : exposition, Paris, Musée de la vie romantique, 20 septembre 2016-29 janvier 2017, Paris : Paris musées : Musée de la vie romantique, 2016
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(Mise à jour : février 2023)