A l’occasion du lancement de l’exposition Dans l’atelier, la création à l’œuvre, Léa Bismuth, commissaire de l’exposition, partagera avec vous, le temps d’une soirée, sa vision de l’atelier d’artiste.

S’appuyant sur le travail réalisé au Musée Delacroix dans le cadre de la préparation de l’exposition Dans l’atelier, la création à l’œuvre, Léa Bismuth proposera de réfléchir à la question de l’atelier d’artiste en général, mais aussi à celle de la maison de l’écrivain, de la vie de ces autres-lieux.

De la maison de Rodin à Meudon à l’atelier de Man Ray rue Férou non loin de Saint-Sulpice, en passant par la maison de Balzac sur les hauteurs de Passy… Léa Bismuth vous proposera unes pychogéographie de ces lieux de vie, d’art, de création.

« D’après l’orthographe ancienne, on reconnaît qu’atelier a même radical qu’attelle (astelle) : c’est le lieu où l’on prépare les attelles, qui sont de petites planches ; en un mot, c’est l’atelier d’un menuisier ; de là le sens a passé à toute espèce d’atelier. L’orthographe attelier a été longtemps en usage, et il serait mieux d’écrire ou attelier par deux tt, ou a-t-elle par un seul t. La prononciation â-te-lié, qui s’entend très souvent, a conservé la trace d’une lettre disparue (astelier) », nous dit le Littré. Et de cette attelle, de ces petites planches de bois, qui sont autant de châssis, on comprend qu’il s’agit aussi d’un attelage, de bêtes de somme attelées les unes aux autres, comme l’artiste à son travail et au lieu de sa création. Mais à quoi s’atteler ? À l’idée qui réclame sa forme, au fil qu’il faut suivre, aux forces et aux énergies à mobiliser pour y parvenir. Cela s’appelle chercher, et renouveler la recherche tous les jours de la vie. Et il n’y a pas de recherche sans direction, c’est-à-dire sans un aiguillon qui maintienne la course du geste, même si la direction n’a pas de point d’arrivée. Une ligne à suivre, comme on flaire la piste, une ligne parfois accidentée, malmenée ; un chemin avec des trouées, des passages à niveau, des gouffres et de brusques accélérations. Et pourtant, il s’agit de poursuivre la remontée du fleuve, comme le chercheur d’or : jouer de la plume et des couleurs, déchirer la figure, et chercher la forme pour ne jamais cesser de la trouver. Alors, tout atelier – en réalité tout lieu de création, que ce soit le carnet de croquis ou la table de l’écrivain... – détermine un engagement sans précédent, condition d’une œuvre qui se formule en se vivant, matérialisant une énergie en forme, créant de l’indomptable dans un champ qui élargit à l’envi ses propres limites. Il y a, dans la logique même de l’atelier, un fond de romantisme pur. Au sens d’une quête d’absolu. À partir de l’instant où l’on se donne le lieu, c’est bien que l’on croit au dépassement de l’art, que l’on accepte de marcher à tâtons dans la nuit, pour frôler le déséquilibre des falaises et vivre le grand désir, qui jusqu’au bout désarme les découragements ; c’est bien là sa fonction. Delacroix peut ainsi écrire, haut et fort : « il faut une grande hardiesse pour oser être soi », « la pratique d’un art demande un être tout entier ; c’est un devoir de s’y consacrer pour celui qui en est véritablement épris ».

Léa Bismuth,
extrait du catalogue de l’exposition Dans l’atelier la création à l’œuvre.